par angèle casanova

Tu n’as pas trente ans..., par Delphine Régnard (drmlj sur le net)

vendredi 5 juillet 2013

Tu n’as pas trente ans et tu es malade, très malade. Pour s’approcher de toi, il faut d’abord passer par une salle qui sert de vestiaire, enfiler une charlotte, mettre un masque, se revêtir d’une blouse, entrer dans des chaussons. Couleur bleu. Et puis, on entre et on entend d’abord le bruit d’une machine qui tourne en permanence, qui doit purifier l’air, machine infernale qui garantit ta survie. Ensuite, on te voit, tu nous vois. Probablement le regard qu’on a porté sur toi fut plein de surprise et d’épouvante. Ce n’est pas ta tête sans cheveux, ce n’est pas ta maigreur ou ta pâleur. Non, c’est de te voir assis sur ce lit, sous cette bâche qui t’extrait de l’extérieur. Tout est gris dans cette pièce minuscule, repliée sur toi, au creux de cet amas de plastiques et de machines. C’est toi qui souris, qui accueilles, qui invites. On s’assoit, on n’a pas pu t’embrasser, te toucher, te serrer la main. Pas de contact. Venir est déjà te mettre un peu en danger. On s’assoit sur le fauteuil près de la fenêtre. Et on cause. De l’extérieur. Assis sur ce fauteuil, on regarde alternativement ta bulle et la fenêtre. Et la fenêtre donne sur le reste du bâtiment construit de telle sorte que de cette fenêtre on ne puisse voir que des murs pleins de fenêtres, on ne voit pas le ciel, sauf à faire un effort. Ce ne sont que reflets, et on ne voit rien. Que vois-tu de ta place à part toi-même. On a honte de penser, pour résister, que tout à l’heure on reprendra la voiture, on roulera sur une autoroute, large et infinie. Plus tard, on respirera à nouveau l’air frais de ce début d’été parisien. Plus tard, on sera dénudé sur la plage, les cheveux pleins de sable, la peau hâlée. On pourra même fumer des clopes et boire des bières. Se faire piquer par des moustiques, se coucher tard, manger mal, danser si on veut, ne pas dormir aussi. Et puis, tu es là, statue de Bouddha sur ton lit, qui souris, qui apaises et rassures. Tu n’es pas encore déclaré en vie, sorti d’affaire. Que se passe-t-il donc dans ta vie à toi pour que tu sois ramené ainsi à cet espace minuscule, toi qui aimes la mer et les îles, lieux perdus, lointains, très lointains.
Beaucoup plus tard, tu es sorti de ta bulle, tu as repris l’avion pour une île la plus perdue possible. Tu navigues, tu pêches, tu postes des photos sur Facebook. On n’est pas allé très loin sur l’autoroute, qui se finissait dans un lotissement de banlieue. On regarde les photos sur Facebook. On revoit le gris de la toile plastique, on admire le bleu du ciel sous ta latitude. On lève la tête vers sa propre fenêtre qui donne sur un bâtiment plein de fenêtres.

Delphine Régnard

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