par angèle casanova

atlante, par Angèle Casanova

vendredi 5 juillet 2013

La terre tremble. Sans fin. Plus rien ne tient debout dans sa maison. Des amphores brisées gisent dans les coins. Le vin souille les fresques murales. Le carrelage se soulève par endroits. Les canalisations pètent. L’eau ruisselle sous ses sandales. Las, le pied traînant, il avance. Il est le dernier. Tout le monde a fui vers les collines. Elles sont trop loin pour lui. Il le sait. Il n’y arrivera jamais. Le temps lui est compté. Le monde n’en finira plus de se soulever. Ce dieu leur en veut. Il ne s’arrêtera pas avant d’avoir son comptant de morts. Le vin n’est pas assez. Il n’étanchera pas sa soif de vengeance. Trop liquide. Trop clair. Il a besoin d’autre chose. Seul le sang peut laver l’affront. Il le sait. C’est ainsi. Leur destin se dessine en vaguelettes ondoyantes sur ce carrelage. Les colonnes du patio branlent sur leur socle. Il doit sortir. Vite. Avant que tout s’écroule. Sortir. Pour aller où. Devant lui, la seule issue, c’est la mer. Derrière lui, les champs et, au loin, les collines. Il est trop vieux. Ils le savaient. Ils l’ont à peine regardé avant de partir en courant. L’instinct de survie, quand il est trop tard pour la loyauté. Pour se souvenir. Qu’il est leur père. Leur ancêtre. Qu’ils lui doivent le respect. Il les regarde courir, le long des murs, les pieds dans l’eau. Il entend leurs cris. Courez, mes petits. Courez vite. Sauvez-vous. Si vous le pouvez. Je surveille vos arrières. Histoire d’éviter. Qu’un démon mauvais vous rattrape. Pour la curée. Je saurai l’en empêcher. S’il se présente. Je lèverai ma canne. Je mettrai tout dans ce mouvement. Tout ce que j’ai. Tout mon amour. Je l’assommerai, ce démon. Tout plutôt que de vous voir mourir. Là. Sous mes yeux. Trop vécu pour voir ça. Vivez, mes petits. Moi, mon temps est venu. Alors, je marche. Lentement. En m’appuyant de toutes mes forces sur ma canne noueuse. Je marche en tanguant doucement sous les coups de boutoir de la terre. Je marche vers l’océan. Je le rejoins. Je le défie. Oui. Je te défie. Mon dieu. Pourquoi. Nous t’avons toujours honoré. Nous avons développé ces connaissances qui te font ombrage. Mais pour le bien des nôtres. Qu’y a-t-il de mal à cela. Je te défie. Mon dieu. Tu nous lamineras peut-être. Mais nous survivrons. Nous reviendrons. Tu n’auras pas raison de nous. Tu n’auras pas raison de moi.

Il sort de sa maison. Il s’avance vers l’océan. Péniblement. Il se dresse sur ses jambes chancelantes. Lève haut le menton. Brandit sa canne. En lançant des imprécations. Non. Tu n’auras pas raison de moi. Et il reste droit. Face à l’océan. Face à la vague qui s’approche en rugissant. Il reste là. Il attend que son monde finisse. Avec lui. Le regard fier. Fatigué. Apeuré. Mais fier. Il vacille par moments. Ne dit plus un mot. Son regard tremble. Ses yeux s’emplissent de larmes. Ses oreilles sifflent tandis que la vague fracasse la côte. Ses yeux se lèvent, pleins d’effroi. Il songe à ses petits qui courent, derrière lui. Auront-ils le temps d’atteindre les collines. Au dernier moment, ses yeux s’ouvrent en grand, sa bouche bée sur un cri inaudible. Les premières gouttes s’écrasent sur son visage fasciné. La vague se dresse au-dessus de lui. Il crie. Enfin. Le temps d’un souffle. Ses yeux voient venir la mort.


Texte initialement publié sur drmlj sur le net, le blog de Delphine Régnard

<

Forum

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.