par angèle casanova

pollen : a tribute to maryse, par Christophe Grossi (déboîtements)

vendredi 1er novembre 2013






On approchait de la Toussaint et nous pouvions lire à l’entrée que tout avait été mis en oeuvre pour sécuriser les visiteurs, phrase qui m’aurait fait rire dans un autre contexte. On approchait de la Toussaint et nous avancions lentement. Quelques-uns se saluaient, se tenaient par le bras, parlaient à voix basse, d’autres regardaient autour d’eux et les touristes prenaient des photos, clic, s’arrêtaient, écourtaient leur visite, observaient la scène.
On avait installé un micro grâce auquel parler, vroum, se souvenir, vroum, dire, vroum, chanter, vroum, lire, et même rire. Puis les clowns ont commencé à siffler faux, tut-puit-tuut, à tourner autour de nous, tuut-puipui-tut, à nous regarder dans les yeux pendant que nous dispersions quelques pétales de roses (l’une de tes fleurs préférées) dans le caveau, no return.
La nuit tombait, tu étais allongée au jardin des ombres poudreuses et quelqu’un agitait une cloche, clang clang : on nous mettait dehors (dehors dehors).
Avant d’entrer dans le pub Irlandais, comme il restait quelques pétales dans le grand sac en kraft, chacun a pu se servir, en prendre avec lui.
Plus tard, j’ai étalé les pétales sur la table basse en verre dépoli avant de les prendre en photo, clic, puis j’ai adressé cette photo à un de nos amis communs qui n’avait pu être avec nous, clic, et dont c’était l’anniversaire, happy. Comme je savais que malgré la distance il avait été là, j’ai pensé que lui aussi aurait aimé garder près de lui les pétales de l’adieu, remember. Plus tard, il m’a écrit, clic, que j’avais bien fait. Entre-temps j’avais disposé les pétales dans une vieille soupière en faïence.
Aujourd’hui, les couleurs sont toujours aussi vives et bien que les pétales ont séché, il n’ont rien perdu de leur parfum. C’est du fétichisme, je sais bien, mais régulièrement je plonge ma main dans la soupière, soupèse les pétales, swiitch-swiich, les observe, les hume en regardant ton collage que j’ai acheté quelques jours avant ton dernier vroum, un collage que tu avais intitulé pollen.

Je me souviens from autrefois de tes rebonds, de nos correspondances (Denfert à Rochereau, écrivais-tu), des mots étrangers que tu trempais, tordais, colorais, fripais et que tu retournais jusqu’à les faire résonner dans ta propre langue. Je me souviens des voyages immobiles, des avions que tu nous faisais prendre, vroum, des fleurs que nous respirions, des corps en toi tombés que même à terre tu relevais par ta danse, des voix du dehors qui entraient dans la phrase, quelqu’un dit. Je me souviens de ta main serrée serrée au moment de l’adieu, de ta main poing levé, de ta main ouverte, de ton sourire toujours là malgré la douleur la fatigue le creux dedans. Je me souviens de la sad shadow derrière toi que je voyais avancer, shit.

Je garde en moi l’image des poissons rouges dans le bassin que le chat roux attrapait parfois.

Je n’ai pas oublié ta voix au téléphone, dring, et tes courriels que je lisais souvent sous la ville, clic, sous la ville où quelques jours après le poing levé serré j’étais presque seul, tuuuuuuut, ligne 9, téléphone sur vibreur en main, bzzzz, moi rejoignant les autres, toi l’abyssale liste.

Sous la ville, ton cabaret.

Dans la nuit, les lampions éclairés et les chaises de jardin au fond d’un bistrot m’ont ramené une fois encore vers toi et ton jardin semenoir où je me rends encore, où j’erre, navigue, vroum, passe, goings and comings, et prends de la graine avant de revenir à ce pollen qui a connu d’autres déboîtements, d’autres appartements et les cris d’un autre enfant à qui tu n’auras pas pu sourire cette fois, une enfant née un an après ton no return, à quelques jours près.

Christophe Grossi, texte (octobre 2013), photos (octobre 2012)

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  • C’est un beau texte pour l’amie, suis touchée, elle était merveilleuse. Je n’ai pu aller à son enterrement, on ne m’a pas prévenue du jour, l’ai appris par hasard, doublement de chagrin. Elle n’aurait pas aimé, elle qui quatre jours avant sa mort me disait des mots que je tairai à jamais, mais qui m’accompagnent. Je retrouve certaines choses ici, ça ne m’étonne en rien, de toi merci. Le coeur à en mourir des fois, qu’elle ne soit plus là c’est tous les jours, mais j’essaie de rire comme nous le faisions telles des gamines au téléphone à dire plein de bêtises, du fond de son lit, et même de sa baignoire, si tu savais les bulles, l’explosion de rires. Tu as raison, la liste est abyssale et nous l’acceptons, cela me rend folle souvent. Non pas refuser la mort, mais accepter, somme toute, aisément, celle des autres. La nôtre est notre dignité, laisser la place aux autres. La naissance d’un enfant console bien des hommes, facilite les choses je comprends. Mais ma peine est inconsolable et ma rage contre ceux qui n’ont pas sa bonté, ne sera jamais apaisée, il le faut. Je ne les crois pas. Ils présentent bien mais ne donneraient jamais leur vie pour sauver quelqu’un. Maryse, courageuse, car en rien dupe de rien, qui savait dans sa peau le prix de la vie, je l’ai quittée par mots idiots, que je me suis dit, effarée, sans ces gestes qui aident, sans le soutien de ceux qui l’aimaient, car les enterrements sont faits pour les vivants. Je n’ai pu effacer ses textos, son dernier, pour la route. On supprime si facilement quelqu’un, dehors dehors. J’aime la vie parce qu’il existe des gens comme Maryse, et d’autres à qui on ne peut parfois dire qu’on les aime.

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