par angèle casanova

daphné, par Angèle Casanova

mardi 29 octobre 2013

Le paysage danse devant ses yeux. A un rythme saccadé, fou. Une branche lui fouette le visage. Son arcade sourcilière éclate. Un jet de sang coule le long de sa paupière. Elle ne s’arrête pas. Continue de courir. A perdre haleine. Au hasard. Elle contourne les arbres, écarte les broussailles, saute par-dessus les rochers. Elle a de plus en plus de mal à respirer. Son souffle devient sifflement, hoquet. Elle sait qu’elle ne tiendra plus bien longtemps. Elle entend la course régulière du dieu derrière elle. Il se rapproche inexorablement. Elle doit courir. Toujours plus vite. Elle l’entend rire dans son dos. Elle sent le bout de ses doigts sur son omoplate. Il essaie de saisir sa tunique. Un petit cri s’échappe de sa poitrine oppressée. Aller tout droit. Le plus loin possible. Après. Qu’y aura-t-il. Il n’y aura pas d’après. Rien. Elle sautera d’une falaise, elle se jettera sur une pierre pointue. Elle fera tout pour éviter ça. Tout. Elle réfléchit. En courant comme une perdue. Tout. Plutôt que ça. Et elle sent une prière monter en elle. Une supplication ardente. Elle lève les yeux au ciel. Elle l’appelle. Son père. Elle l’appelle au secours. Père. Sauve-moi. Fais de moi ce que tu veux, mais évite-moi ça. Aide-moi à mourir. Elle court. Elle prie. Ses pieds nus volent au ras des feuilles mortes. Lorsqu’elle l’entend bondir, dans son dos, elle comprend que c’est la curée. Alors elle crie. Elle appelle son père. Sauve-moi !

Du fond de son lit, son père l’entend. Il cherche un abracadabra quelconque. Une porte de sortie pour elle. Il ne trouve rien. Ses pensées ne s’ouvrent qu’au néant. Alors il tend sa volonté vers le corps de sa fille, et le somme de devenir autre. Le corps obéit. La jeune fille continue de courir encore un peu. Puis son corps s’étire, sa bouche reste ouverte sur un cri inaudible. Son bras se tend en avant, cherchant encore et toujours à fuir le dieu en rut. Mais elle prend déjà racine. Ses pieds se couvrent d’écorce. Ses mains de feuillages. Son visage se sculpte dans le bois. Ce n’est plus une femme. C’est un arbre. Vierge à jamais.

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