par angèle casanova

plus d’encre dans l’imprimante, une recension des Vases communicants de décembre 2014, par Angèle Casanova

lundi 8 décembre 2014



Plus d’encre dans l’imprimante, il va falloir changer le toner.
Faire la recension des Vases communicants demande une grande organisation.
Préparer les textes pour leur lecture à voix haute en Courrier new taille 12 un interligne 1/2.
Agrafer les feuillets, les tromboner par duo.
Mettre en place la structure de la recension sur le site, reproduire soigneusement les choix syntaxiques opérés le mois dernier.
Améliorer ce qui doit l’être.
Écrire aux auteurs pour leur demander si le titre de leur texte commence par une majuscule ou non, ou bien pour mendier une photo pour illustrer un soundcloud.
Partager les textes à lire avec Olivier Savignat. Et puis me mettre en condition pour lire.
Parce que, tout cela, je le fais avant de m’installer à mon bureau, fluo en main, et de lire les textes. Une fois seulement. Et puis avec le dictaphone, sur le vif. En conservant les scories dues à l’improvisation. Parce que c’est ça, lire. Tâtonner. Chercher le sens. La juste intonation. Dans cette recherche, il y a des loupés, des approximations. Alors, faire fi de l’envie de vous en mettre plein la vue. Rester humble dans cette lecture tâcheronne. Faire taire mon souci de la perfection. Lire. Tout simplement. Pour le plaisir de lire. Pour vous.
Merci à Brigitte Célérier pour sa recension, Dans l’antre en lectrice des vases avant le concert de la nuit. Que notre indivision perdure longtemps...
Bonne recension, et au mois prochain !
Note du 3 janvier 2017 : Les lectures ont été supprimées de cet article, mon quota maximal de lectures étant atteint sur Soundcloud. Veuillez m’en excuser.


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Cécile Benoist et François Vinsot
Partir d’un goût commun pour le polar et d’un thème, "le profil du crime".

Variations sur le profil du crime en 140 signes ou presque, par Cécile Benoist @CcilBenoist (blog Littérature sauvage)
"Si tu observes le crime de profil, tu discerneras une ombre qui te dérange, celle de l’humanité, peut-être un petit morceau de toi."
Cécile Benoist, pour ce texte, a "opté pour un format quasi tweet, en guise de clin d’œil [au] travail" de François Vinsot. Elle décrit d’ailleurs bien le style de François, "un auteur qui développe une twittérature démentielle à coups de 140 signes : aphorismes, dialogues, feuilletons et romans. Ce format crée des rythmes particuliers et suscite chez le lecteur une gymnastique cognitive originale."
Vérification faite (je suis relativement pointilleuse, je le concède), oui, Cécile a, peu ou prou, adopté la règle des 140 signes. Et elle a choisi d’aborder le profil du crime "latéralement". Elle n’a pas créé une intrigue sur le profilage, sur la police scientifique, ou même sur le sens commun de l’expression "avoir le profil du crime". Ou plutôt si. Mais en ajoutant une composante à l’équation : elle joue en permanence sur le sens du mot profil, entendu comme un objet ou une personne vus de côté, ou bien comme un ensemble de caractéristiques particulières qui déterminent une personnalité et correspondent à une structure comportementale connue. Selon mon expert familial, il s’agirait d’un bon exemple d’une figure de style que je ne connaissais pas, tout en l’utilisant, la syllepse.


et

Autour du profil du crime, par François Vinsot @francoisvinsot (blog francoisvinsot)
"L’autre : « Ne quittez pas des yeux la personne qui vient de quitter le bâtiment. Tout me laisse croire qu’il ne va pas tarder à commettre le crime. »
Un autre : « Je l’ai en vue mais il n’a pas du tout le profil. Vous êtes vraiment sûr que nous parlons bien de la même personne ? »
"
Pour son premier Vase communicant, François Vinsot tourne autour du profil du crime en nous plongeant dans une courte pièce de théâtre absurde. Pensez donc, dans le monde décrit par François, le profil préexiste au crime. Le criminel est repéré, et on le suit pour vérifier qu’il correspond au profil et que donc, oui, victoire, un crime s’est produit ! C’est à en perdre son latin. Ça sent le bouc-émissaire. Et donc, finalement, la situation qu’il décrit n’est peut-être pas si improbable que cela. Quand décrète-t-on que le coupable est coupable ? Qu’est-ce que la présomption d’innocence ? Certains ne sont-ils pas coupables avant que d’avoir fait quoi que ce soit ? Sans même avoir fait quoi que ce soit ? Finalement, dans ce ping-pong oratoire, on n’entend qu’une partie, le policier qui veut plaquer le profil sur le suspect. Celui-ci est étrangement atone, hors du coup. Il pose des questions, que le policier voudrait narquoises, mais on n’a pas accès à toutes les données : ses gestes, ses expressions. Peut-être est-il horrifié, ce qui expliquerait la fin du texte. Alors, tout en nous jouant une scénette sans queue ni tête, François nous remet la tête à l’endroit, en nous montrant comment ça marche, de démolir quelqu’un. Et comment il est facile de déraper quand on a le destin des gens entre les mains.


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François Bonneau et Cécile Charpentier
Quand François ouvre ses tiroirs, en sort une série ancienne, Dans les conférences (écrite en 2008-2009), et la republie sur L’irrégulier, avant de proposer à Cécile Charpentier-Bonneau, de retour de colloque, un échange autour de ce motif.

Dans les conférences, par François Bonneau @francoisbonneau (blog L’irrégulier)
"Dans les conférences, sur les estrades et sous les tables hautes, les bouteilles à trois gorgées sont soigneusement à disposition, à portée de manche. Sifflement, un-deux un-deux dans le micro, remerciements chaleureux à vous tous, oui vous venus si nombreux. Cédez le passage, passage de plat, passage de parole, passage du goitre peut-être, eh bien merci vous-même, c’est celui qui le dit qui y est."
Ce texte est le 5e de cette série qui évoque les à-côtés de ce qui est censé être l’essentiel dans une conférence : ce qui est dit. Mais il se passe beaucoup de choses autour de ces mots lancés de l’estrade au public. Des gestes, des paroles, des comportements sociaux, la vie. Ce texte dresse donc un tableau de ce qui se passe dans les conférences. Un tableau truculent. Gourmand. Fourmillant de détails.


et

Dans les conférences, par Cécile Charpentier, (blog Lady des poussières)
"On est sommé d’avoir des références, parfois on se sent aussi sommée de les étaler. Alors on circonvole : sur la lumière du jour, la chaleur de la tasse dans les mains, l’organisatrice, qui, décidément est charmante, l’œuf à la coque particulièrement réussi le matin… Et si par malheur, on se retrouve à court, et bien on interroge sur la Bretagne et son histoire."
Cécile Charpentier raconte à sa façon, et dans le style de la série de François, le colloque en Bretagne auquel elle vient d’assister. Ce faisant, elle ressuscite son blog Lady des poussières, abandonné depuis novembre 2012. Et là où François survole la scène, nous en propose un tableau d’ensemble, elle se livre à un travail d’introspection tout en se dissimulant derrière le on neutre. Que ressent-elle pendant ce colloque. Elle nous le dit en petites touches délicates, qui mesurent la complexité du comportement humain, tout à son travail et tout à autre chose dans le même temps.


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Pierre Cohen-Hadria et Christophe Grossi
Quelle approche ont-ils choisie avant d’écrire ? Ils ne nous le disent pas. Peut-être se sont-ils juste laisser guider par l’envie. Leurs textes parlent d’eux, de leur vie. L’enfance de Christophe Grossi, le métier de Pierre Cohen-Hadria. Et c’est après coup qu’est apparue une cohérence, chromatique, qui a donné lieu à leurs titres en miroir.

bleu blanc, par Pierre Cohen-Hadria (site Pendant le week-end)
"Avant-hier, j’attends, je pose ma question, elle me dit oui, j’y vais, je note : c’est papier crayon mon affaire, je n’utilise pas de plaquette, je n’utilise pas d’ordinateur comme en quatre-vingt-dix, je reste tel qu’en moi-même, je pose quelques questions, et là, voilà, il arrive parfois que les choses aillent ainsi, il s’agit de sciences humaines, le recueil des réponses a quelque chose à voir avec le statut qui nous conditionne, je suis là, je note (je ne regarde pas les gens, alors), je ne fais que noter."
Comment rendre vivant un dialogue entre un enquêteur et un enquêté. Comment dire les mouvements de pensée qui orientent l’action de l’enquêteur. Ce flux vivant qui fait que non il ne va pas noter cette information oui il la note non il ne la comprend pas mais ce n’est pas grave. Ce texte se lit d’une traite, sans presque respirer. On y plonge dans la pensée de Pierre, dans ce qui fait l’essence et la difficulté de son métier. Un signe qui ne trompe pas : je n’ai eu besoin que d’une seule prise pour l’enregistrer. Il est sorti tout naturellement de ma bouche, sans hésitation, sans erreur, et j’y ai pris beaucoup de plaisir.


et

jaune bleu, par Christophe Grossi @christogrossi (site [déboîtements])
"Nous sommes quatre à traverser la place et la route nationale, à remonter la rue de l’étang. Les serviettes et gants de toilette sont cachés dans des sacs en plastique, avec le linge propre, le savon, le shampooing, le sèche-cheveux, les brosses à dents et le dentifrice."
Christophe Grossi vient de publier Ricordi à L’Atelier contemporain (illustrations Daniel Schlier, prière d’insérer d’Arno Bertina). Je n’ai pas encore pu lire son livre, mais Nathalie Riera, sur Les carnets d’Eucharis, cite Christophe : "Nous nous souvenons, nous croyons nous souvenir, nous embellissons ou grisons la réalité, nous l’arrangeons sciemment ou non, en fonction de l’interlocuteur." Qu’est-ce que se souvenir ? Qu’est-ce qu’évoquer ses souvenirs ? Quelle fiabilité peut-on accorder à un témoignage ? Et au final, cette fiabilité a-t-elle la moindre importance ? Ses souvenirs, Christophe s’en méfie dans jaune bleu. Il les situe mal dans le temps, hésite sur la date, la durée, sur la présence ou non de grilles sur leur chemin... Et la beauté de son texte est faite de cela. Ces hésitations, qui nous font entrer dans sa tête. Partir en quête de son enfance avec lui. On est à ses côtés quand il entre dans le vestiaire des hommes. On se demande avec lui si les casiers sont vraiment jaune et bleu, et pourquoi il se souvient d’eux ainsi s’ils ne l’étaient pas. On a l’odeur du bleu de travail dans les narines. Un très beau texte, exigeant, et qui fait un bien fou.
Et un grand merci à Eric Schulthess, pour sa lecture du texte de Christophe Grossi.


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Marianne Desroziers et Alice Scaliger
"Nous avons choisi comme point de départ une vidéo, une danse. Il s’agit de « Nowhere », spectacle réunissant 26 danseurs et créé en 2009 par Dimitris Papaioannou en hommage à la chorégraphe Pina Bausch." (Alice Scaliger)
Pour voir un extrait du spectacle :

HTML - 50 ko
NOWHERE (2009) / central scene / for Pina on Vimeo

Ici et maintenant, par Marianne Desroziers @MarianDesrozier (blog Marianne Desroziers)
"A ceux qui dansent avec tout leur corps, de la racine des cheveux au petit orteil : leur visage, leurs épaules, leurs bras, leurs coudes, leurs mains, leur torse, leur ventre, leurs hanches, leur sexe, leur fesses, leurs jambes, leurs genoux, leurs pieds."
Marianne nous propose un long poème en hommage à la danse et aux danseurs. Ce faisant, elle aborde ce qu’est l’art de la danse, en mettant en avant son caractère pictural. On voit bien l’influence de la vidéo de Nowhere sur ce poème : lors de la scène centrale du spectacle, des danseurs alignés accordent le mouvement de leurs bras de manière à créer une vague horizontale visant à ôter, lentement, l’étoffe recouvrant le sexe d’un danseur à demi-nu, placé au milieu de la ligne. La composition parfaite de la figure s’apparente à un tableau dansé. Marianne parle ici de corps en mouvement, de corps dont la souffrance occasionnée par ces mouvements est occultée tout en existant réellement là, au coeur de la danse.


et

Nowhere, par Alice Scaliger (blog Carnet d’Alice)
"Dans ma mémoire, des danseurs entortillés dans de longues écharpes colorées m’offrent parfois l’oubli, petites capsules que je déroule, petits souvenirs sucrés. Dans cet endroit précis, Nowhere."
Alice Scaliger, à la manière de Brigitte Célérier, nous offre un carnet de spectacle. En 2000, au Lieu unique, à Nantes, elle assiste à un spectacle de danse. Elle conserve ce souvenir comme un talisman précieux, fait de légèreté et de deuxième chance offerte.


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Eric Dubois et Olivier Savignat
Ils ont choisi d’écrire, à partir d’une image de leur choix, un poème sur le langage.

Incertitude des mots, par Eric Dubois @EricDubois (blog Les Tribulations d’Eric Dubois)
"Dans la voix
du monde
Accorder
l’immanence
"
Un court poème, de petites touches évocatrices, qui jouent avec le langage pour nous parler de lui. Un monde de sensations s’ouvre à nous.


et

Ecrivant, par Olivier Savignat @oliviersavignat (blog Sous mes doigts la pluie)
"comme l’enfant
le sein de sa mère
"
[joker, allez voir la recension de Brigitte Célérier]


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Marie-Christine Grimard et Marlen Sauvage
"Nous avons choisi de parler de Nature sous la forme de haïkus. Marie-Christine écrit à partir d’une photo inspiratrice, c’est par conséquent l’une de ses photos qui suit ainsi que son texte.
Je lui ai demandé pour ma part de bien vouloir illustrer mes textes.
" (Marlen Sauvage)
Un dialogue sous forme de haïkus qui, mis bout à bout, forment un long poème.

haïkus-dialogue, par Marie-Christine Grimard @GrimardC (blog Promenades en Ailleurs)
"Figée sous les branches
Les yeux rivés sur sa voix
J’écoute en silence.
"
Une promenade dans la forêt automnale. Le temps qui passe. Les feuilles qui tombent. L’espoir du printemps. Un poème mélancolique à souhait qui joue joliment avec un thème classique et nous fait passer un doux moment en sa compagnie.
Le premier Vase communicant de Marie-Christine Grimard, bienvenue parmi nous !


et

Haïku-dialogue, par Marlen Sauvage @MarlenSauvage (blog Les ateliers du déluge)
"Lichen blanc un nid
Les oiseaux migrent ailleurs
L’œuf est en suspens
"
Au lever du jour, une promenade au bord de l’eau. Un poème fait d’attente, celle du jour et de quelque chose d’indéterminé, peut-être une espérance, un appétit. Un poème fait de frustration aussi, celle de la nature qui proteste, crie, et de réaffirmation de soi, de sa gaité et de cette solitude qui n’est pas un poids.


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Dominique Hasselmann et Giovanni Merloni
Offrir une photographie à l’autre et écrire.

Comme une bombe à retardement, par Dominique Hasselmann @dhasselmann (blog Métronomiques)
"il suffirait de suivre la flèche
l’architecture se marie avec la peinture
le cubisme est triangulé tel le GPS des beaux-arts
le pinceau se règle comme une bombe à retardement
l’idée devient matière sauf qu’il est interdit de toucher
"
Mais qui est cette Jeanne M. qui a tant inspiré Giovanni pour sa peinture et Dominique pour ce poème ? Un je qui dis tu à cette Jeanne-là, qui dit le trouble né de la juste proportion, de la parfaite géométrie des formes. Ou quand cubisme rime avec désir, indiquant d’une flèche la direction du trouble. Notez que j’ai beaucoup aimé mettre en bouche ce poème, ce qui ajoute du sens au sens.


et

Liberté chérie, par Giovanni Merloni @GiovanniMerloni (blog le portrait inconscient)
" P romenades insouciantes sur le toit jardinier
Ascenseurs transparents de palier en palier
Renouveau des boutiques dans l’esprit des bobos
Inutile de dire qu’il y aura des bistrots…
Spectacles pour le peuple, ô LIBERTÉ CHÉRIE !
"
Un acrostiche autour du mot PARIS, qui évoque le chantier du Forum des Halles, ainsi que nous le confirme la photographie de Dominique Hasselmann. Giovanni s’interroge sur le projet, son idéologie, et le met en filigrane du passé du lieu, de ce qu’on ressent quand on passe les barres tournantes, quand on avance au pas dans la foule en file indienne, dans ces couloirs sombres, associés au mot poubelle. Son poème finit sur "ô LIBERTÉ CHÉRIE "... Notre regard descend, et on voit une grille opaque, celle du RER, à l’air libre, avec grue qui dépasse. Une prison inachevée, un indice, peut-être une prison d’un autre genre, qui envahit tout au fur et à mesure, notre vie, nos habitudes...


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Justine Neubach et Jean Prod’hom
Ils écrivent sur leur rapport à leur langue, le français, et proposent tous deux une lecture à voix haute de leur texte.

"Que signifie ce nuage ?", par Justine Neubach @JNeubach (blog "Mettre sa nuit en lumière")
"Très tôt, ainsi, je me suis résolue à classer le non-français au rayon des bruissements du monde. Le russe y côtoyait le frisson des herbes sous la brise, l’anglais était tout proche d’un gloussement de ruisseau, d’autres langues sifflaient, chuintaient, couinaient, chantaient ; certaines auraient pu être des langues de prairies ; d’autres, des voix pour l’explosion ; il y avait des langues qui s’écoutaient comme la mer dans un coquillage et d’autres, proches, rêches, gutturales, langues remontées des mines, les visages noircis, le regard luisant."
Un texte limpide, comme la voix de Justine Neubach, dont j’ai écouté la lecture après avoir réalisé la mienne. Un texte lumineux, qui évoque une vie à travers son rapport à la langue. Ce qu’il dit du rapport au réel, aux autres. Ce qu’il construit de soi dans les mots d’une langue ou d’une autre. Un texte qui m’a rappelé L’alphabet du feu : petites études sur la langue de Silvia Baron Supervielle, un livre fondateur pour moi, qui parle de son rapport à la langue française, elle l’Uruguayenne, qui s’est mise à écrire quand elle s’est exilée en France, et en français. Une écriture de l’exil donc, du dépaysement, de l’hors de la langue maternelle, où la langue d’adoption devient la sienne, la vraie. Un questionnement aussi sur une langue qui exprimerait toutes les nuances de la pensée humaine, et qui serait derrière toutes les langues connues, et après laquelle Silvia courrait.


et

“Suis né dans le ventre d’une langue", par Jean Prod’hom @jeanprodhom (blog lesmarges.net)
"Suis né dans le ventre d’une langue. Ne me souviens de rien, ni de l’instant ni du passage de celui de ma mère à ce ventre-là, rien."
Dès les premiers mots de ce texte, on est happés par la précision du langage. Par ce qu’il évoque. Par la vie de ce voyageur immobile qui, depuis la chaleur de sa bibliothèque, regardant vaguement le verger par la fenêtre, rêve sa vie, en totale adéquation avec lui-même. Il ne connaît pas d’autre langue que le français, soit. Alors, il ne part pas à l’assaut du monde, en biaisant, dans sa langue. Alors il reste chez lui. Et cisèle ses mots.


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Camille Philibert-Rossignol et Gilles Bertin
Ils ont choisi d’écrire un poème de métro, selon les règles délicieusement oulipiennes édictées par Jacques Jouet dans Poème de métro.

inspire, par Camille Philibert-Rossignol @Kmillephilibert (blog la pelle est au tractopelle ce qu’est la camomille à camille)
"peau rugueuse
nidification haillon
paysanne dispensée, magie statique
pas étendu, chairs vermillons de mensonges,
cheveux éteints déjà sous les brises effleurées.
"

Un poème qui parle du corps, l’évoque, le touche, s’en éloigne, frise souvent l’abstraction, pour dire la pesanteur du vécu, la beauté malgré tout. Ce poème nous porte comme une vague sans cesse mourante, toujours régénérée. On en sort ému. Un peu triste. On inspire. Et on repart, apaisé comme après un bon bain.
L’alternance des strophes avec de courtes vidéos du métro crée un effet de contraste étonnant avec le poème, précieux, mélancolique et sombre.


et

Le Baiser De La Fête, par Gilles Bertin @gillesbertin (site Lignes de vie)
"l’homme enlève sa main passée dans son casque et caresse de l’envers de ses doigts la joue de l’enfant"
Sur le même principe, une rencontre dans le métro. Une famille, qui rentre de Disneyland. Leurs gestes, décrits. Leurs attitudes. Les sentiments sousjacents. Délicatesse, précision des faits évoqués, font de cette anecdote fugace un vrai beau moment de littérature.
Un texte à écouter sans filet, puisque Gilles Bertin a choisi de ne vous en dévoiler que la lecture, qu’il a mise en scène : il a en effet enregistré son texte non pas dans le métro, mais au milieu de ce qui semble être une fête foraine, puisqu’on entend, très fort, derrière la voix de Gilles Bertin, l’occultant parfois, celle d’un bateleur qui beugle on ne sait quel boniment dans un micro nasillard.
Pour ma part, je suis une petite chanceuse : pour les besoins de ma lecture, il a accepté de m’en envoyer le texte, et je l’en remercie.


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Rixile et Eric Schulthess
La cédille. Deux approches pour le même thème.
Encore un échange sur la langue, le langage. Il semblerait que, pour cette édition des Vases communicants, un fluide impalpable ait circulé de duo en duo, pour arriver à un telle cohérence.

En signe de ponctuation, par Rixile @rixilement (blog Rixile)
"La petite personne que j’étais pensait que c’était un signe transparent, sans importance, comme un oubli, un changement de son dans nos ponctuations, inutile d’y faire attention."
Rixile prend prétexte de la cédille pour dire que ce que l’enfant ne voit pas. Que les choses ne sont jamais blanches ou noires, mais souvent grises, troubles. Que les scènes ne sont jamais statiques. Que la cédille change tout le sens d’un mot, donc d’une phrase, donc d’un discours, bref, peut très bien jouer le rôle de l’aile de papillon qui, battant au-dessus de nos têtes, va créer un ouragan à l’autre bout du monde. Chemin faisant, elle se souvient de la cédille, de sa découverte, en observant un électricien poser un crochet au plafond. Crochet qui va tout changer. A moins que ce ne soit l’électricien.
Bienvenue, Rixile, au sein des Vases communicants.
Et merci, Eric Schulthess, pour votre lecture du texte de Rixile.


et

Sam cédille, par Eric Schulthess @eschulthess (site CarnetdeMarseille)
"Des cédilles partout il avait ajouté. Pour s’amuser. Parce qu’il trouvait que la langue française, on pouvait l’utiliser pour autre chose que pour des trucs sérieux, des histoires sombres, des récits guerriers. Ou à l’eau de rose. Il avait eu envie de la faire sonner différemment cette langue. Pour voir et écouter comment on pourrait à partir d’une petite cédille embarquer vers d’autres horizons."
Une fois n’est pas coutume, mais deux ? Après Sébastien de Cornuaud-Marcheteau pour les Vases communicants de novembre 2014, Eric Schulthess, à son tour, s’est, fort malicieusement, ingénié à écrire un texte illisible à voix haute. Il englobe en effet un texte enchâssé, une rédaction ayant la particularité hautement provocatrice de ne comporter que des c cédilles ! Un défi pour la lecture à voix haute, que j’ai relevé à la fameuse va-comme-peux de Brigitte Célérier. Vous me pardonnerez donc les quelques erreurs de prononciation qui émaillent encore ma.. euh... 6e lecture du texte, que je me suis résolue à conserver pour la présente recension, au bord de l’apoplexie et de l’extinction de voix.
Ce texte est donc un charmant pied de nez et une réponse à une décision politique étrange venue de Finlande et évoquée dans l’article Le monde en lecture seule. A propos de la disparition de l’écriture manuscrite, paru cette semaine sur Affordance, le blog d’Olivier Ertzscheid.


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Danielle Masson et Angèle Casanova
Nous avons décidé d’écrire à partir de l’incipit de l’album La grande fabrique des mots, par Agnès de Lestrade et Valeria Docampo : "Il existe un pays où les gens ne parlent presque pas. C’est le pays de la grande fabrique de mots.".

Douleur, par Danielle Masson (blog Jetons l’encre à Saint Maximin la Sainte Baume...)
"- Mais d’où sors-tu ?
- Je suis l’enfant de la guerre, l’enfant du silence.
- L’enfant du silence ?
- Je suis du même pays que toi. Oui, certains mots, je ne veux plus les entendre. Ils disent trop la douleur.
- La douleur ? On ne fabrique plus ce mot-là, dans mon pays.
"
Quand certaines choses sont indicibles, comment trouver le courage de parler d’autre chose ? Comment combler la vanité des mots ? Le bonheur est-il toujours possible ? Ce court texte dialogué, délicat et sensible, s’achève sur une supplique.


et

un chat dans ma gorge, par Angèle Casanova @PoivertGBF (site gadins et bouts de ficelles)
"Je n’ai pas donné ma langue au chat.
Le chat s’est fâché.
Il a décidé de me contrarier et s’est logé au fond de ma gorge.
Au chaud, il attend le printemps.
"
[joker, allez voir la recension de Brigitte Célérier]


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Franck Queyraud et Angèle Casanova
J’ai envoyé une photographie à Franck, il m’en a envoyé quatre, et nous avons choisi d’écrire en parallèle autour de ces images.

Dans ventre, ça a commencé..., par Franck Queyraud @MemoireSilence (blog Flânerie quotidienne)
"Cette voix, dans son ventre, cette voix qui ne pouvait le tromper… celle qu’il entendait depuis toujours… et puis, un soir, un midi ou un matin : le noir d’un mur, un reste de voiture… Cet homme, qui n’en était pas encore un, a découvert une règle… pour mesurer la douleur, sa douleur… pour continuer son chemin… La vie… Dans ventre, ça a commencé…"
Un texte qui parle d’une douleur tellement forte qu’elle commence au ventre. Au coeur.
Qu’elle irradie tout le corps à partir de là.
Une douleur qui a commencé un jour et qui semble ne jamais devoir s’achever.
Le jour où la femme du désert...
Alors sa voix le poursuit. Se mêle aux mots de La Maison des Feuilles de Mark Z. Danielewski, que je vais donc lire, au fil de l’écoute de Being Humain Being, d’Eric Truffaz et de Murcof à partir d’Enki Bilal, que je vais donc écouter. Dès que possible.
Un texte très fort, qui touche aux tripes, tout en se saisissant de ce qui fait la richesse d’un instant de vie, la musique qui le baigne, les mots qui le portent.


et

le mur d’eau, par Angèle Casanova @PoivertGBF (site gadins et bouts de ficelles)
"tu marches en marmonnant
tes pieds se cognent
aux angles
tu marches
sans fin
mains en avant
"
[joker, allez voir la recension de Brigitte Célérier]

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