par angèle casanova

vibrato

lundi 31 mars 2008

Vibrato.

Noir / blanc / noir.
Ombre / lumière / ombre.
Nuit / jour / nuit.
Chercher la définition de ce mot dans un dictionnaire…

« vibrato n. m.

Définition :
Mode d’exécution d’un son prolongé, qui consiste à faire varier périodiquement, mais de façon quasi imperceptible, sa hauteur (par déplacement du doigt pour les instruments à cordes, par pression des lèvres pour les instruments à vent).
Légère et rapide fluctuation dans la hauteur d’une note, pratiquée dans le jeu des instruments à archet par un mouvement d’oscillation. »

Une ondulation entre deux réalités, deux plans.
Un tremblement, une fragilité qui mènent ailleurs.
Ses doigts pianotent légèrement, souplement, sur le clavier. Si vite qu’elle les voit à peine. Des esquisses de doigts, flous, sans contours définis, qui vivent d’une vie propre, logique mais étrangère. En transe, ils tracent à l’écran une géométrie implacable, décident, planifient l’écriture qu’elle ne fait que subir, à demi là seulement. Elle tressaille, les doigts s’interrompent, la questionnent, tentent une reprise d’activité, puis s’immobilisent, en suspension.
Alors, lentement, avec conviction, elle s’étire… Ses doigts se tendent progressivement, puis elle s’arcboute, grimaçante, les yeux toujours fixés sur l’ordinateur. Quelques secondes passent. Elle sort de sa transe.
Ses yeux se fixent sur un point, à l’autre bout du café : les bruits environnants la touchent à nouveau. La lumière joue sur ses mains brandies. Elle regarde sa tasse. Vide.
Vibrato.
Elle commande du café.
Qu’écrire ? En levant la main pour alerter le serveur, elle répète cette question, doucement, du bout des lèvres, pour elle-même.
Qu’écrire ?
Elle se lève brièvement, s’ébroue et se rassoit. Le café est déjà là. Elle remarque à peine le serveur, lui dit un mot gentil en souriant largement. Réflexe auto-conditionné. Et porte la tasse à ses lèvres. Blanche, comme il se doit. Le café est le symbole, pour elle de la finitude de l’existence. Petit, corsé, fugace… Elle se gargarise de son arôme, le fait claquer sur sa langue, comme un bon vin. Le bruit la rassérène. Son haleine retrouve sa normalité caféinée. Le goût fort, franc, envahit sa bouche. Pour une heure, tout au plus, mais c’est déjà ça de gagné sur la pourriture. Dans une heure, elle sentira le cadavre. Mais elle n’aime pas se trimballer avec brosse à dents et tout le toutim. Alors, rebelote, le café. Ce rituel, répété d’heure en heure, rythme sa journée, la ponctue de petits moments où elle fait peau neuve, front et nez plissés, appliquée, toute à son breuvage. Mieux que les pastilles contre la mauvaise haleine. Au fur et à mesure, les heures s’égrènent, les tasses s’alignent sur la table du café. Ses mains sont de moins en moins souples et légères. Elles se font sèches, saccadées. Lorsque les doigts se resserrent sur la tasse fine, leur tremblement ride la surface du liquide noir et opaque. Vibrato…
Au rythme de ses doigts hésitants.
Au rythme de son cœur qui tangue.
Au rythme des cafés qu’elle avale.
Vibrato.
Elle ne cesse de se répéter ce mot, lu dans la prose d’une amie mélomane. Oui. Vibrato. Ce mot résume assez bien son « état ». Si tant est que l’absence de stabilité puisse être un état.

L’atsmosphère est bien nette, ici, soupire-t-elle. Moins propice à l’écriture et au vague à l’âme qu’auparavant. Elle distingue dorénavant le moindre grain de poussière, la moindre miette de pain. Les gens aussi ont des contours plus définis, moins brumeux, ce qui n’est vraiment pas pour lui plaire.Retour ligne automatique
Elle ne fume pas. Mais elle aimait, dans sa chair, l’ambiance enfumée des cafés. Quoi qu’il en soit, elle ne peut s’empêcher de revenir, encore et toujours, les hanter, à Paris ou ailleurs. Ces lieux publics, ouverts à tous les vents, où apparaissent, signes ténus dans le brouhaha et l’agitation ambiants, les aspérités propres à un univers personnel. Un tableau, un bibelot, une certaine manière de disposer les verres au-dessus du comptoir, le soin apporté à la décoration… Tout nous parle de quelqu’un, mais de qui ? Nous sommes invités chez un quelconque quidam sans savoir précisément qui il est. L’absence au cœur de la présence. Voilà pourquoi elle aime les cafés. Dans ce lieu absent à lui-même, elle peut creuser son trou, s’aménager un petit espace à elle. Les tasses alignées, l’ordinateur soigneusement déposé au milieu de la table, les papiers éparpillés sur toute sa surface… Et puis les emballages de sucre chiffonnés, jouant aux funambules sur un coin de soucoupe, après avoir été méticuleusement déchirés en lamelles. Quelques grains de sucre s’en sont échappés. Vite ! Les balayer, ils pourraient endommager le portable.Retour ligne automatique
Dans ce café, miroir d’un autre, elle peut exister, au vu et au su de tous. Se replier en elle-même, tout en se sentant invitée, admise chez un autre. En un autre ? Cette pensée psychanalyste la frappe de plein fouet. En un autre ? Aurait-elle besoin, pour se sentir pleinement exister, de se reposer dans un pseudo environnement amniotique, accueillant et maternel ? Toujours adossée à sa chaise, le regard perdu, flottant de la table au plafond, du plafond au serveur, elle sourit à cette pensée. Mais dans le même temps, cette histoire de « vibrato » continue de la tracasser.


Une ébauche de nouvelle, inachevée. Mais elle marque le début de quelque chose. Je l’ai senti. En l’écrivant.

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