par angèle casanova

tic-tac tic-tac tic-tac

dimanche 5 août 2012

Des branches de bambou me caressent le cou et le dos. Je frissonne, et me tortille un peu sur le banc de bois. Il couine. Je me retourne, et repousse d’une main le feuillage importun. Puis je me cale confortablement, et reprends mon livre. Massif, lourd. Pages granuleuses, épaisses, jaunies par l’usage. Reliure de bibliothèque, qui traversera les décennies sans bouger.

Mon gamin rigolard passe et repasse devant moi, jouant à chat d’un bout à l’autre du parc, et venant régulièrement ranger de menus trésors au creux de mon cabas. Branche. Pomme de pin. Peluche indéterminée. Plume crasseuse de pigeon…

Je veux voler !

Plongée dans mon livre, j’entends ce souhait, qui sonne comme une affirmation. Plusieurs voix se mêlent et psalmodient cette phrase incantatoire. A des rythmes différents, sur des tons différents. Voix de fille, voix de garçons. Des adolescents. Dans le coin des tout-petits.

Je veux voler !

Je finis ma page, toute à ma lecture. Nul besoin de lever le nez, je repère mon poussin au cri. Plus ou moins proche, plus ou moins guttural. Alarme rassurante pour la mère avide de lecture.

Je veux voler !

Je pose le livre sur mes genoux, et regarde vers la droite. Une jeune fille élancée escalade le pont de singe, un truc à bulles en main. Elle avance, les bras en croix, funambule, recule d’un pas goguenard, se retourne vers deux garçons qui l’observent depuis le sol. L’un après l’autre, ils disent cette phrase. Joute sonore. Phrase de ralliement. Serment d’amitié. Vieux peut-être, datant de la prime enfance. Leurs gestes, leur aisance montrent qu’ils connaissent le parc à jeux comme leur poche.

Je veux voler !

Elle se dresse, fière, les yeux noirs, loin au-dessus des autres. La peau ambrée. Une tresse rebelle s’agite entre ses homoplates au gré de ses mouvements. Une chemise claire lui couvre pudiquement les fesses. Douze, treize ans peut-être. Déjà une jeune fille. Prête à toutes les conquêtes. Agile. Sûre d’elle. Elle dame le pion à ces deux pauvres gars, en contrebas.

Je veux voler !

Elle brandit son truc à bulles, les petits accourent. Elle désolidarise la tige du récipient en plastique, étire le bras et souffle. De grandes bulles allongées naissent de son geste ample. Elle s’appuie sur un poteau, et balance les bulles au-dessus de la marmaille qui exulte.

Je veux voler !

Son manège dure longtemps. Elle affermit son règne sur cette cour des miracles. Les petits s’égosillent, réclament, supplient. Les grands scandent.

Je veux voler !

Elle finit par descendre, et rejoint deux autres filles. L’une d’elle est toute jeune, à peine plus âgée qu’elle, et lit sagement un livre. Un joli visage, enserré dans un foulard sombre. Une coquette tunique, un jean à la mode. L’autre doit être leur sœur aînée. Plus mûre. Le visage un peu épaissi. Mais impossible de lui donner un âge sous ce voile. Elles s’occupent, bavardent, là, dans ce parc pour enfants, s’accompagnent les unes les autres. Les garçons sont leurs frères.

Je veux voler !

Je regarde la fille au truc à bulles.

tic-tac tic-tac tic-tac

Je me sens triste soudain.

tic-tac tic-tac tic-tac

Je veux voler !

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