par angèle casanova

l’écran tremblote

lundi 5 mai 2014

Le bar est encore ouvert. Portes béantes sur la nuit. Lueur froide et feutrée. Celle des veilleuses que le barman a laissées après avoir éteint les plafonniers. De mon poste d’observation, au volant de ma voiture, je discerne les tabourets retournés sur le comptoir. Bien alignés. Le sol carrelé nu. Lessivé. Les fantômes des gars qui viennent y boire leur pression sont à peine perceptibles. Un reflet moiré qui tient à l’ambiance du lieu. Ils y sont pourtant. Quelque part dans les limbes. Prêts à revenir. Comme dans les films de braquage de banque. Quand les monte-en-l’air font flancher la caméra de surveillance en y enregistrant un film qui les rend invisibles. Un court instant, l’écran de surveillance du vigile tremblote. Il n’a rien vu. Trop occupé à manger un sandwich en papotant avec ses collègues. L’écran tremblote et puis tout disparaît. Normalité factice. La vie continue. Dessous. Mais les vigiles ne voient rien. Je suis ce vigile. De temps en temps, la réalité tremblote. Je sens qu’ils sont là. Les clients du bar. Quelque part. Derrière. Qu’ils ne sont jamais partis. Qu’ils ne peuvent pas. Attachés à ce lieu. Le Wheeling. Qui a l’air d’un phare paumé dans la nuit. Ce dimanche soir. Où rien n’est ouvert à part lui dans le coin.

A
l’angle de mon champ de vision, sous la tonnelle, devant son bar, il balaie. Consciencieusement. Les mégots du jour. Sous les réverbères. Blafard et concentré. Tout à sa tâche. Je jette un dernier regard sur lui. Sur son café. Mes yeux remontent vers le toit de la grosse maison qui l’abrite. Au-dessus des tuiles, la lune. Croissant mince. Orné d’une mouche étoilée. Le ciel violet profond. Même couleur que celui de Giorgone.

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