par angèle casanova

Relativité, par Sébastien de Cornuaud-Marcheteau

vendredi 6 février 2015




Je marche sur la ligne blanche continue.
Il y a une route. Il y a une ligne qui longe la route, une ligne blanche continue. Infinie sans doute. A droite un espace où l’arrêt d’urgence est encore possible. Peut-être même, souhaitable. A défaut d’aire de repos, l’arrêt d’urgence est une alternative qu’il convient de ne jamais négliger dans les déplacements hasardeux qu’impose la rectitude. Mais il faut continuer d’avancer sur la ligne blanche continue qui sépare le monde en deux milieux distincts.
A gauche, l’infini mouvement de l’univers qui ignore que l’urgence mérite que l’on s’arrête. L’univers ne s’arrête jamais ! Et même : les cataclysmes sont de grandes accélérations qui ignorent la ligne blanche continue sur laquelle je pose, méticuleusement, un pied après l’autre, les bras écartés comme un funambule en péril, ayant perdu la perche qui le maintient en équilibre. Précaire. La précarité ne tient qu’à cette perche, à ce balancier qui me met dans l’alternative d’une urgence ou d’un arrêt imminent. L’enfance, elle, n’a pas besoin de perche car elle ignore, ou feint d’ignorer la peur du vide, l’effroi mortel de la chute, le vertige de la vitesse. C’est l’anticipation excessive qui fait pencher brusquement d’un côté ou de l’autre, l’hésitation qui nous maintient en départage constant. La biaporie de l’être.

Je marche, en équilibre précaire, sur la ligne blanche continue.
Parfois, la ligne est jaune. C’est alors une ligne blanche continue temporaire, circonscrite dans le temps.
Une ligne qui dit :
– « Je n’ai pas la prétention de durer indéfiniment ! Je suis dans l’en-deça de l’éternité. Comme toute ligne infinie de l’univers, je n’ignore pas que mon infinitude supposée s’estompe à l’orée du système dans lequel l’homme englobe présomptueusement le monde. Parfois, je croise une tangente blanche continue et nous discutons au carrefour de nos trajectoires et nous évoquons ensemble l’existence des lignes parallèles. Mais aucune n’en a jamais vu ! »

Je marche, en équilibre précaire, sur la ligne blanche, un peu jaunie, continue.
Parfois la ligne paraît courbe. Rien n’est plus galbé qu’une ligne droite qui s’étend à l’infini. La ligne est silhouette féminine et son ombre se perd dans les voussures de l’horizon. La faute à la rotondité de la terre, au cosinus et au sinus bouchés comme des coins. La droite est comme une courbature inscrite dans un esprit calculateur. Un accident de parcours dans un plan de l’espace fortuitement manipulé.

Je marche, en équilibre précaire, sur une abstraction de l’esprit, un peu jaunie, continue.
Parfois la ligne s’estompe sous mes pieds. Rayures, la ligne indique l’acceptabilité d’un dépassement. Dépassement de quoi ? Dépassement de soi ? Qui pourrais-je doubler, moi qui marche à cloche-pied sur la ligne, passant de biffure en hachure ? Je cherche, je cherche, et ce faisant je m’aperçois que même le moi, qu’en toute légitimité je pourrais distancer, n’a pas plus d’ombre que la ligne sur laquelle il marche. Ce moi plat, cet horizontal pays qui s’étale tout en moi, ne peut se surpasser, se contente de rester en tête de lui-même et entêté d’être ce moi lambinant en perpétuel dépassement de l’autre qui n’est pas moi et qui, pourtant, parmi les pointillés, cette alternance lasse de blanc et de noir qui longe la route, quand l’effacement, à bout de force, survient, me ressemble.

Je marche, en équilibre précaire, sur une abstraction de l’esprit, un peu jaunie, intermittente.
Parfois mon esprit s’égare et c’est un autre qui marche sur la ligne blanche continue. Un autre qui prend le relais et je n’ai pas vu venir. Est-ce ainsi sur la route ? Un autre saisit la trajectoire et prolonge le cap entrepris. Un autre comme à soi, un autre quant à soi que je reconnais et à qui je ressemble. L’autre est ce je qui n’a jamais abandonné et qui, de toutes ses forces, convoque l’altérité de saisir un flambeau toujours déjà éteint. De toute éternité, sur la route, entre l’arrêt d’urgence et l’eurythmie qui la tiraille.

"Un supposé je" marche en équilibre précaire, sur une abstraction de l’esprit, un peu jaunie, intermittente.

Ce faisant, je pense à l’altérité relative du monde qui me place, me déplace, me remplace, en ce moment précis, marchant sur une ligne blanche continue.

>

Forum

Messages

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.