par angèle casanova

le mur d’eau, par Angèle Casanova

vendredi 5 décembre 2014

#1

J’imprime les photographies sur du papier machine. En noir et blanc. J’y perds beaucoup, mais je peux confronter les images. Je note des mots-clés au dos des feuillets. Je les pose et reviens au dossier informatique. Je réfléchis à ce qui pourrait faire sens. Là. A ce qui pourrait relier ces images. Les couleurs. Les lignes visuelles. Les rythmes. Quelque chose se dessine. Qui fait passer de la ligne montante de marcher à l’escalier qui mène à vox. De vox à douleur exquise la rime est évidente. L’œil rebondit d’un néon vertical rouge sur un triangle inversé tout aussi vertical et rouge.

Et puis la résonance change de sens. De douleur exquise on passe à crépuscule. Fin de vie. Du rouge au noir. Et puis le noir envahit tout. La voiture disparaît dans un mur d’eau.



#2

tu marches dans le noir
j’entends ta voix

tu marches en marmonnant
tes pieds se cognent
aux angles
tu marches
sans fin
mains en avant
je le sais
je me retourne
dans mon lit
je me bouche les oreilles
je serre les dents
je m’entête à dormir

soudain
plus aucun bruit
j’ouvre les yeux
j’entends tes mains
qui actionnent une poignée
en tâtonnant
je me lève
je bondis comme un cabri
à travers la chambre
le cœur fou
je traverse le couloir
dans le noir
mes pieds
sont moites
et collent au carrelage
je dérape
me rattrape comme je peux
traverse la forêt de coussins
et de draps
et de vêtements
qui encombre
le salon
hôpital

en cinq secondes
je suis sur toi
je te secoue
en tremblant
tu as les mains tendues
en avant
agrippées sur la poignée
tu as ouvert la porte-fenêtre
et tu essaies de traverser le volet roulant
fermé
comme si c’était un mur
d’eau

tu creuses
doigts crispés
tu grattes
tes jambes sont nues
en slip

tu cherches
les toilettes
sur le balcon



#3

Les images sont faites de vide. Tout comme le monde. Mais alors comment tiennent les choses. Qu’est-ce qui fait qu’elles sont ce qu’elles sont. Qu’on les reconnaît comme telles. Qu’est-ce qui fait qu’une voiture est une voiture, alors qu’au niveau atomique, la matière qui la compose est discontinue.

Lorsqu’on observe une image informatique en zoomant avec son smartphone, les pixels apparaissent comme les mailles d’une étoffe.

Au fur et à mesure que je zoome, le regard fixé sur l’écran, j’oublie l’image initiale, affichée sur mon explorateur. Elle n’est rien d’autre que la représentation informatique, pixellisée, d’une photographie. Reflet de reflet du réel. L’image devient un champ à explorer. Où se perdre. Plus rien n’a de sens que cette plongée en avant. Vers le toujours plus petit. Toujours plus décentré. Du monde clos de l’image à l’univers infini des pixels qui la composent.

Ma vision procède par filtres successifs, qui me perdent en translation. J’avance vers l’image. Je m’en écarte. Je la regarde autrement. Je la dénature. Je la fais disparaître.

J’observe la texture du monde, et je m’y perds. Plus de mur d’eau. Rien que des briques, qui montrent l’existence du vide entre les parcelles de matière, tout en donnant une impression étrange de continuité. De solidité simplificatrice.

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Angèle Casanova (texte)
Franck Queyraud (photographies 4, 6, 7 et 8) et Angèle Casanova (photographies 1, 2, 3, 5, 9 et 10)


Texte initialement publié

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