par angèle casanova

en famille

dimanche 16 novembre 2014

Ma vie a commencé à l’âge de six ans. Avant, j’existais à peine. Un avorton, un presqu’humain. En rage en permanence. Contre qui. Contre quoi. Et puis soudain. Noël. Mes parents m’offrent un recueil d’histoires de Disney. Bernard et Bianca, Bambi, Robin des bois et compagnie.

Alors, je commence à lire. Assise dans mon lit, ce livre énorme bien calé sur mes genoux inclinés. Je lis avec application, en suivant la ligne.

Quand je l’ai fini, je réclame autre chose. A grands cris. Autre chose. Comme le nouveau-né trouve d’instinct le sein de sa mère. Je sais. Que j’ai trouvé mon lait. Le seul peut-être. Qui me nourrira jamais. Je réclame donc un livre à ma mère. A celle qui, naturellement, doit me nourrir.

Elle m’écoute. Et me nourrit. De la façon qui me convient le mieux. Elle me donne un livre. Le sien. Le premier pour elle. Qui devient mon premier roman. Premier pour elle. Premier pour moi. Lien voulu par elle, qui m’émeut jusqu’aux larmes aujourd’hui. Elle. Qui n’a jamais lu. A toujours voulu. Pourtant. Mais la vie. Est ainsi faite. Pour les gens de peu. Qu’elle n’a jamais trouvé le temps. Entre la lessive. Les courses. Les enfants à laver. A éduquer. Elle n’a jamais lu. Mais elle m’a donné. Son premier livre. De prix. Forcément. En famille, d’Hector Malot. Un livre. Un thème. Qui parlaient d’elle. Sans me le dire. Sans que je le sache jamais. Avant d’être moi-même mère. Malot. Mal au. Mal au quoi. Mal au corps. Mal à la tête. Mal quelque part. Je ne sus jamais. De son vivant. Je ne sus jamais. Ce qui la travaillait. Et lui donnait envie. Pour moi. D’autre chose. Que de journées sans fin. A attendre. Qu’elles finissent. Que de tristesses insondables. Qui faisaient d’elles une rebelle sans cause visible. Toujours.

En famille. Une affirmation. Que la famille existe. Qu’on la perd. Mais qu’on peut la retrouver. Un jour. Que l’espoir existe. Ce livre. Offert à moi. Son enfant. Son espoir. Le seul peut-être. Un trop grand espoir. Sûrement. Être un enfant-espoir. Être celle à qui on offre ce livre-là. En famille. Par Hector Malot. N’est pas un bon présage. C’est une marque gothique. Sur le front. Belle. Noire. Excentrique. Elle fait de celui qui la porte. Un lecteur. Un autre que. Un enfant-espoir. Signe pourtant d’un monde où il est difficile d’espérer.

Mais je suis cet enfant-espoir. Et je suis ce lecteur. Qui montre. L’avenir. Cet avenir qui prend. Progressivement. La forme obsédante. Irrémédiable. D’une bibliothèque. Ma vie. Ma passion pour les livres. Comme une malédiction. Une marque noire. Sur mon front mignon. De petite fille. Qui reçoit. Pour ses débuts de lectrice. Un bien beau livre. Rouge et or. Qui rime avec cresson et orpheline.

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