par angèle casanova

Poudrerie, par François Bonneau

vendredi 12 avril 2013



Ça craquait sous les pieds. Est-ce qu’on était encore dehors ? Un peu, suffisamment. Avec les bas d’Angélique. Bas de laine, cuisses et mollets, ma fortune et la sienne. Avec ses paquets de cookies. La pluie en moins.

La bécote sur les bancs publics, on avait passé l’âge ; on avait trouvé mieux, et on assumait bien cet embourgeoisement de mal-lotis. C’étaient des pans de murs. Entre la citadelle et la niche, dans un parc arboré. Résidu résidentiel, placard aux quatre vents. Pas vraiment un logement, plutôt un extérieur avec un toit, les courants d’air en sèche-cheveux. La vieille dépendance de l’ancienne poudrerie, au fond du parc, à droite. Derrière la palissade du rideau de châtaigniers.

On y pratiquait pas l’ascèse. On ne se privait pas de l’autre, jamais, nous étions nos self-services, il y avait toujours des restes, la part du pauvre, un peu de rab, une lichette pour la route, et l’on se consommait en grand, jamais d’écrémé, jamais d’allégé, deux fois double ration, bref on se dévorait, et pas souvent des yeux, à quoi bon quand on a la peau.

À s’empiler ainsi, à empiler les heures, nous sommes tombés à court de ravitaillement ; il a fallu sortir quelques jours.

C’est pendant cette période que sont passés les décorateurs d’intérieur. Nous n’étions pas très tapisserie, et ça, ils l’avaient bien ciblé. En revanche, nous n’étions pas si pressés. Qu’importe. Ces âmes charitables avaient opté pour un style graphique plutôt brut, assez urbain, sans chichi.

Il fallut donc réhabiter ces nouveaux remparts. Passer outre la surprise offerte par ces âmes magnanimes et efficaces : les quatre murs dans la journée, maculés de frais, marqueurs indélébiles pour offrande à l’écrin. Ces esprits libres et espiègles offraient un second degré bien à propos : laisser trace d’un passage, qui pourtant ne se voulait qu’éphémère, tandis que nous, Angélique, ses bas et moi, avions quasi domicile ici, sans n’en rien laisser transparaitre. Il fallait aviser.

Et nous avons tâché les lieux de moiteurs quasi transparentes, et avons redoublé d’efforts pour que l’on ne voit pas nos vices dans le futur, sans essuyer sans empêcher, nous avons décuplé l’élan qui nous portait l’un dedans l’autre, et avons célébré bien trop cette nouvelle décoration, mais le trop et puis le trop plein, ça ne nous faisait pas trop peur, alors nous avons repris de plus belle. Parce que les traces invisibles nous redonnaient encore des forces.

Parce que l’on respirait encore, dans notre îlot, bulle de chair. Repeindre ces murs un jour ? Lointain, peut-être. À moins que restent ces traces, et que l’on parte, nous, vers de nouvelles marques. Fossiles ou canines plantées, estampilles qui ne sont pas nôtres… Bah, tant que se présente un tapis, ou que ça craque sous nos pieds. Marquez, vous autres. Et quant à nous…

François Bonneau (texte)
Angèle Casanova (photographies)

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