par angèle casanova

L’enfant soldat, par Yoxigen (Un jour, j’ai mangé une pomme)

vendredi 5 octobre 2012

Il se souvenait encore de l’école, des corn flakes, des restaurants en famille, avant la Grande Récession.

L’un de ses souvenirs les plus marquants, c’était l’exaltation de ses professeurs, lorsqu’ils parlaient de la seconde guerre mondiale. L’axe du mal, les héros exaltés, se battant pour la liberté des peuples du monde entier. Ils se souvient de photos vieillies, aviateurs emplis de fierté, fantassins courageux. D’un slogan un peu étrange : « Plus jamais ça ».

A la télévision pourtant, rien n’était fini et son pays continuait de se battre, dans le monde entier, pour apporter la Paix et la Démocratie. Quand son grand frère est parti, c’était en Irak, il lui semblait. Il se rappelait de lui, en uniforme, le torse bombé comme après une victoire au championnat de base-ball.

Et puis sans qu’il comprenne bien pourquoi, la guerre s’est déplacée, s’est développée, dans le monde entier. Jusqu’à atteindre son pays, réputé inviolable. Son père est parti aussi, déterminé ; son frère n’est jamais revenu, il n’a jamais demandé pourquoi. L’école est devenu un souvenir, tout comme le cinéma, les jeux vidéos, les en-cas à tout heure de la journée.

Seule restait la télévision, informant tout un chacun de l’évolution des différents conflits, en des termes techniques parfois difficiles à comprendre. Mais les images étaient là, les avions, les bombes, les drônes, les résistants, les grattes-ciels fumants, les méchants menottés, les soldats fêtant une victoire. Et ces mots qui sonnaient comme des promesses : « Liberté », « Idéaux », « Droits de l’Homme », et ceux qui galvanisaient : « Victimes », « Bourreaux », « Représailles ». Les cris d’espoirs, scandés par la foule : « God Bless America ».

Lorsqu’il y a quelques mois, une patrouille s’est installée dans sa ville, il a été fasciné par ces guerriers, forts, vaillants, armes en bandoulière, bien qu’ils aient eu l’air plus fatigués qu’à la télévision. On les acclamait, on les applaudissait. Il y avait même des caméras !

Mais son souvenir le plus intense fut quand l’un de ces soldats, un Sergent, lui prêta son fusil mitrailleur, et qu’ils avaient été filmés tous les deux. La dame de la télé était très gentille, bien qu’un peu sévère, et ils ont dû rejouer la scène plusieurs fois.
- « Tu n’es pas content de tenir un fusil ? Comme un soldat ? »
- « Si, madame ! »
- « Alors je veux que tu le montres mieux ! Sourie plus, crie plus fort ! Tu veux un déguisement de soldat ? Qu’on m’emmène un treillis pour gamin bon sang !! Enfile ça, tu pourras le garder, après, c’est cadeau ! Ah ça te plaît ça hein ? FILMEZ, mais FILMEZ, c’est cette joie qu’il fallait enregistrer, bon Dieu, Jones ! »

Après le tournage, le Sergent est resté avec lui, et lui a même permis de tirer ! Il lui a appris comment manier correctement le fusil. C’était très lourd, beaucoup plus que le revolver de Papa.

Le Sergent lui a bien expliqué aussi que, s’il voulait, il était assez grand et fort pour devenir un vrai soldat. Maman ne voulait pas, au début, puis elle a changé d’avis.

On l’a alors emmené en colonie de vacances pendant quelques semaines. Il y avait plein d’enfants de son âge, pressés eux aussi d’aider les leurs à libérer le pays et le monde. Pressés de montrer qu’ils étaient assez grands. Il a appris à se battre, à main nue, au couteau, avec des armes à feu. Il a lancé des grenades, a joué à cache-cache, a fait beaucoup de sport.

Quand il est monté dans l’avion, il n’y avait ni caméra, ni photographe ; il était un peu déçu. Puis après le crash, coincé sous la carlingue, son sang coulant dans ses yeux, il a aperçu les journalistes, au loin. Qui filmaient les vainqueurs. Il avait un peu honte d’avoir trahi les siens.


Yoxigen

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