par angèle casanova

pique-moi encore

mardi 7 novembre 2006

Le RER, mon havre de pensées… J’y passe quotidiennement deux heures et plus à rêvasser ma vie.

Ce soir. Je rentre chez moi. La vitre m’attire. Blottie contre elle, je regarde lentement défiler la lumière et la pénombre, la lumière et la pénombre. Peu à peu, mon regard se focalise sur ce défilement… A travers lui, apparaît mon visage. Tendu, creusé. Aujourd’hui, j’ai le regard fiévreux. Trop écrit, trop pensé. Je regarde mon semi-profil, la ride qui se dessine, nette, le long de mon nez, et vient mourir, incertaine, près de ma bouche. Petite bouche, fermée, crispée, qui ne demande qu’à se détendre et à sourire, pourtant. Au moindre signe.
Je reviens sur mes yeux. Je me regarde. Je plonge dans ce désert profond. Tant pis, les gens autour de moi doivent avoir remarqué mon manège.
Mes yeux savent. Mes yeux se souviennent. Ils ne rient plus.

Alors, je palpe mon trench, mon doux trench, le compagnon de mes hivers, le préféré, l’unique, qui se déforme aux poches, mais reste si fidèle à mon corps. Je le palpe à gauche. Là où tout se passe, dans mon monde intérieur. A gauche. Je mets lentement ma main dans ma poche, sans me quitter des yeux. J’attrape l’objet.
L’objet.
Je le prends dans ma main, le soupèse, le contourne doucement. Puis je ferme mon poing sur lui, sur ses bords acérés et irréguliers. Je me blesse en le serrant, toujours plus fort, toujours plus fort, à la limite de la douleur. Plusieurs fois. Le pense-bête fonctionne bien. Il remplit bien son rôle.
Alors, sans toujours me quitter des yeux, je sors lentement ma main, toujours crispée sur l’objet, de ma poche. Je la sors théâtralement. Juste pour moi, devenue spectatrice de moi-même. Je regarde ma main fermée. Elle est jolie. Petite. Fine.
Puis, lentement, très lentement, je l’ouvre.
Je n’en finis pas de l’ouvrir. Doigt après doigt, phalange après phalange.
Sentir mes muscles ralentir, devenir aériens, mes doigts craquer sous l’effort retenu.

Ca y est. Ma main est ouverte devant moi, à plat. L’objet qui s’y cachait apparaît à mes yeux. Et sa vue les blesse. Les entaille. Plus que ses bords acérés n’entraient dans ma chair. Plus que le jour où Kawaï m’a tellement bien mordue qu’elle a percé, d’une dent, la chair de ma main, qui a obtempéré, comme un fruit bien ferme éclate au contact de la dent. Plus que ça.
Je le regarde. Intensément. Et je me souviens.
Où je l’ai ramassé.
Ce qu’il est.
J’ai besoin de réciter ma leçon pour me rappeler ce qu’il est.

Un morceau de plastique noir presque carré, de trois centimètres de côté, aux bords irréguliers.
Un morceau de plastique noir arraché à la carrosserie d’une voiture. Une Rover verte, si je ne m’abuse.
Un morceau de plastique noir arraché à la carrosserie d’une voiture brisée en mille petits bouts insignifiants de plastique noir.
Un morceau de plastique noir que j’ai ramassé, au bord d’une route nationale, au fond d’un fossé, parmi mille autres morceaux de plastique noir.
Un morceau de plastique noir que j’ai ramassé en évitant de regarder le sang gluant collé aux herbes du fossé.
Un morceau de plastique noir qui nous a réunis, mon père, ma sœur, et moi, dans une embrassade paniquée.
Ce jour-là, au bord du fossé.
Au bord du fossé où elle est morte. Devant cette boîte où j’étais allée danser adolescente. Devant cette maison dont peut-être les propriétaires l’ont vue agoniser.

Pique-moi encore la main, petit morceau de plastique. Que je me réveille. Je ne comprends pas ce qui s’est passé.

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